Money is the anthem
 of success...
Son père était une enflure de première, il passait son temps dans les bars, traitait sa femme comme une moins que rien et n’avait absolument aucune attention envers son fils. C’était un homme minable, un mari minable et un père minable. Une vraie charogne, il dépensait l’argent de la famille –à savoir la paie très modeste d’aide soignante de sa femme- en alcool et cigarette. ≈ Un jour où le courage fut plus présent qu’un autre, que son mari l’insulta un peu plus grossièrement que les autres jours et que son fils pleura un peu plus fort que d’habitude, elle décida que c’en était trop, les valises furent bouclées en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire –il faut avouer qu’elle n’avait pas grand chose à emporter avec elle- et, son fils pour le bras, elle quitta définitivement l’Irlande pour les Etats-Unis. ≈ C’est ainsi qu’Angus débarqua à Neptune, du haut de ses trois ans, avec son fort accent irlandais et ses grands yeux bleus. Il vécut quelques temps chez une tante éloignée –il n’a jamais réellement su quel lien il y avait entre eux. Elle s’occupa de lui et de sa mère durant quelques années. ≈ Sa mère, Jane, ne s’est jamais remariée, si bien que jusqu’à ce qu’il quitte définitivement le foyer à l’âge de dix-huit ans, ce n’était qu’elle et lui. Ils ne roulaient pas sur l’or, loin de là, mais d’aussi loin qu’il s’en souvienne, malgré les deux boulots qu’il cumulaient déjà à seize ans, il n’a jamais manqué de rien, hormis d’une présence paternelle, d’un homme qui aurait pu lui servir de modèle. ≈ Il y a environ dix ans, alors qu’il était mécanicien dans un garage qui n’était même pas le sien, il rencontra celle qui deviendra bientôt sa femme. Elle était comme lui à l’époque, pas grand chose, fille d’immigrés clandestins qui parlaient un anglais approximatif et ne savaient ni lire, ni écrire. Elle fut noyée parmi ses nombreux frères et sœurs, si bien que sa beauté époustouflante et sa répartie à toute épreuve passèrent longtemps inaperçus. ≈ Il s’est démerdé tout seul pour en arriver jusqu’ici, se liant avec les bonnes personnes et restant discret coûte que coûte. Il a su prouver sa loyauté aux Fitzpatrick, qu’il a toujours côtoyés sans pour autant se mêler à leurs affaires… au début, pour finalement réussir à y tenir aujourd’hui un rôle important. Il sait qu’il peut leur faire confiance et eux savent qu’il ne les trahira pas, quoiqu’il arrive. ≈ C’est sa rencontre avec sa colombienne qui l’a poussé à se bouger, quitte à passer la frontière entre ce qui est légal et ce qu’il ne l’est pas. Il ferait tout pour elle, pour qu’elle soit heureuse, quitte à lui passer tous ses caprices. Il sait cependant qu’il pourra toujours compter sur elle, quoiqu’il arrive, qu’elle est son allié le plus fidèle. ≈ Les Conlon n’ont pas d’enfant, et n’en auront certainement jamais. Il ne s’est jamais senti l’âme d’un père, et bien qu’il ne déteste pas les enfants, il les préfère largement chez les autres. Et puis l’idée de devoir partager sa femme avec qui que ce soit le rebute énormément. ≈ Angus, c’est un mec simple. Il aime passer ses journées à retaper des vieilles motos, ou des vieilles voitures qu’il trouve dans des casses. Il aime la bière et les burgers. Il aime manger avec les doigts et mettre ses pieds sur la table. En soi, il aurait très bien pu vivre la petite vie minable qui lui était destinée. Mais, et c’est là son plus grand point commun avec sa femme, il  a toujours détesté ne pas savoir de quoi demain sera fait, vivre en se demandant s’il pourrait payer l’électricité ou s’il aurait de quoi manger à sa faim pendant le mois entier, c’était quelque chose qu’il avait supporté pendant trop longtemps. Alors il ne fait finalement pas grand chose de son argent, ne s’habille pas avec des fringues qui coûtent aussi chères qu’une voiture –non, pour ça il y a sa femme-, il s’assure juste de ne jamais, ja-mais, manquer de rien, que sa femme elle, nage dans l’opulence qu’elle mérite et qu’il puisse vivre sa vie tranquille.

...So before we go out, what's your address ?
Ses talons claquent sur le sol dans un rythme régulier qui s’approche lentement. Elle ouvre gracieusement la porte qui mène au garage où il répare l’une de ces vieilles bécanes qu’il récupère dans des casses. Activité de pauvres s’il en est, Madame Conlon méprise ces passe-temps improductifs. Chéri, s’il te plait, va faire de l’argent. Elle est adossée contre la porte, et sa beauté, sa classe et son assurance irradie la pièce. ”J’ai croisé quelqu’un tout à l’heure, un Fitzpatrick.” Angus lève les yeux vers sa femme, son attention est piquée. ”Il voulait prendre de tes nouvelles. Il y a quelque chose dont tu aurais oublié de me parler ?” Le ton est accusateur, le regard inquisiteur. Il s’essuie les mains sur son jeans et, doucement, à pas de velours, se rapproche d’elle. ”Je t’ai déjà dit de pas te mêler de ça”, qu’il lui grogne, leur visage à quelque centimètres l’un de l’autre. Il sent le cambouis et elle le parfum hors de prix qu’elle s’achète avec l’argent de ses trafics, deals et autres activités illégales qu’il pratique avec les Fitzpatrick. ”Je suis ta femme,” dit-elle, comme si elle porter son nom revenait à porter un quelconque titre de noblesse. Il lâche un petit rire. ”C’est pas le genre de choses qu’on oublie, t’inquiètes pas.” Angus la pousse doucement pour qu’elle se décale et qu’il puise rentrer dans la maison, et elle le suit comme son ombre, alors qu’il traverse le salon, monte les escaliers, et se dirige vers la suite parentale –qui n’a de parentale que le nom puisqu’ils n’ont pas d’enfant. Tous deux beaucoup trop égoïstes pour prendre soin de quelqu’un d’autre qu’eux.”Ca veut dire quoi ça, Conlon ?” Il a enlevé son vieux T-shirt à l’effigie d’un groupe de métal qu’elle ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam et elle se tient devant lui, droite comme un piquet, les bras croisés et son pied droit qui tape le rythme sur le sol, comme pour dire J’attends. “Ca veut dire, Conlon, que si tu arrêtais de te prendre pour Jackie Kennedy j’aurais peut-être pas besoin de faire ce que je fais.” Parce que Madame Conlon a parfaitement connaissance des agissements de son mari, il ne dit rien, mais elle sait tout. Depuis qu’ils se connaissent, elle lit en lui comme dans un livre ouvert. Elle semble outrée et un petit sourire en coin se dessine sur le visage d’Angus ce qui ne fait que rajouter à sa colère, et la voilà qui le frappe au biceps de son petit poing fragile. ”C’est ce que tu penses de moi ?” Et comme ça, d’un coup, la femme forte, insoumise et rebelle qu’elle est devenue au fil du temps, à force de vivre avec lui, redevient la jeune fille fragile, craintive et qui pensait toujours qu’il ne serait plus là quand elle se réveillerait. ”Non.” Elle vient se blottir contre lui, son visage enfouit contre son cou tandis que la main de son cher mari vient encercler sa taille. ”T’es un con Conlon, mais promets moi que tu te feras pas choper.” Promets moi que tu ne me quitteras pas, lui dit-elle tacitement. Il sait qu’il ne peut rien promettre, c’est un jeu auquel il joue et ses chances de perdre vont croissantes au fur et à mesure que le temps passe et que l’argent s’empile. Peu à peu les mailles du filet vont se refermer sur lui, et, un jour, il se fera certainement prendre, il finira en taule, pour quelques mois si tout se passe bien, quelques années, c’est le plus probable, ou… ”Et toi t’es qu’une chieuse vénale Conlon, mais je te promets que ça ira.” Le couple Conlon, c’est la rencontre d’une petite merde irlandaise et d’une petite merde colombienne. Fauchés comme les blés, il allait finir mécano et elle serveuse, ou femme de ménage, elle récurerait le sol de maisons qu’elle n’aurait jamais les moyens de s’offrirait, et fantasmerait devant les robes de grands couturiers qui habillent les corps gras de ces femmes qui ont tout, mais qui ne sont rien. Mais les deux se rencontrèrent. Il trouva en elle une raison de rompre avec la vie toute tracée qui l’attendait, une raison de voir plus grand. Et elle vit en lui quelqu’un qui ferait tout pour elle et pour qui elle serait prête à tout faire. ”Il n’y a que pour toi que je ferais tout Conlon.”