Les poings de Cruz se serrèrent. Ses phalanges se mirent à blanchir. Sur ses avant-bras, parfaitement visible sous la puissance, ses veines dessinèrent l’autoroute de son sang. Il jeta un regard autour de lui. Un cercle d’humain s’était formé autour de lui et de son adversaire. Ils beuglaient tous comme des chiens aux abois, pariant sur le plus fort et sur l’issue du combat. Puis, les yeux du mexicain dévièrent sur le visage amoché de l’italien. Il n’y avait aucune règle lors de ses combats illégaux, tous les coups étaient permis, même les plus bas. C’était seulement un concentré de violence et de testostérone. Souvent un moyen de frapper pour enrichir ses fins de mois. Cruz n’approuvait pas, n’appréciait pas, pourtant il se trouvait là assez régulièrement pour devenir un habitué. S’il avait d’abord cherché à joindre les deux bouts de manière simple et efficace, il avait vite vu que frapper apaisait sa propre colère, le rendait plus serein. Il s’était alors laissé entrainer dans cette spirale, sans impasse, ni même l’envie d’en sortir. Il boxait plutôt bien et finissait rarement à terre. Le sourire de l’italien s’étala sur ses lèvres gercées. Il avait des muscles saillants. Bâti comme un déménageur, il semblait faire le double du poids de Cruz. Mais le jeune Suarez resta là à observer son adversaire du soir. Il monta ses poings à son visage, amorçant sa garde. Cruz était agile et rapide. Son crochet du droit avait déjà fait voler quelques dents et plusieurs mâchoires. Lentement, il se mit à tourner autour du Rital. Une approche similaire à celle du félin en attente. Oui, il attendait le moment opportun, le moment où il dévoilerait la faille. Il n’y avait rien de professionnel dans ses combats, pourtant le Mexicain semblait le prendre comme tel. Il ne voulait pas sombrer dans une violence facile et gratuite. Il respectait bien trop les gens pour ça. Les hurlements des spectateurs se firent plus pressants. Comme toujours, ils avaient soif de sang et attendaient avec impatience les premiers coups. " alors le mexicain ? tu as peur ? " demanda l'italien. Cruz ignora ses propos. S’il avait peur de lui ? Grand dieu que non. Il aurait pu lui dire qu’il n’avait peur de rien et qu’il allait l’envoyer à terre comme les autres avant lui, mais il n’en fit rien. Son cœur battait la chamade. Ses traits toujours aussi impassibles, un masque de neutralité qui empêchait quiconque d’y lire ses émotions. Et la danse commença. L’italien se rua sur Cruz comme une bête sauvage. Esquive à droite. Il était bien trop grand pour avoir une once de réactivité, au contraire du Mexicain. Le premier coup enfonça la mâchoire de l’italien. Un coup sec et habitué. Sous le regard de la foule, le poing de Cruz se serra davantage. Un filet de sang gicla sur le sol, alors que l'abruti se cramponnait à deux hommes dont les mains étaient pleines de billet. " c’est tout ? " insista le jeune Suarez. Et l’italien se rua de nouveau sur lui. Alors, le deuxième coup enfonça l'estomac. Un coup puissant et acharné. Cruz fit vriller l'abruti, qui se répandit au sol, sous l’impulsion. Un instant, il hésita. Ses doigts étaient endoloris par l'usage abusif de ses poings, mais il ressentait le besoin de frapper, sans même savoir d'où ce désir pouvait provenir. C'était en fait, une colère intérieure, sourde et atroce, qui l’empêchait de penser. Une rancœur qu'il ne savait évacuer autrement que par le biais de ses combats illégaux. Qu'il avait accumulé depuis des années et qu'il avait géré seul (et sans doute très mal).

[...]

" voilà tes 200$ ! " Carlos lui tendit une liasse de billets. Cruz les attrapa entre ses doigts ensanglantés, marqués par les bleus. L'italien avait été coriace et il avait dû s'acharner jusqu'à ce qu'il ne se relève plus. Il en portait d'ailleurs la marque : une arcade ouverte et une lèvre fendue. Néanmoins, Cruz était préoccupé par autre chose. " on avait dit 500$ Carlos ! " Peine perdue. " 200$ Cruz. " Le mexicain soupira. Il n'avait pas la force de protester. D'autant plus qu'il connaissait personnellement Carlos, un ami de son père (qui ignorait tout, par ailleurs). Cruz attrapa son argent et le fourra dans la poche de son jean. Il allait faire demi-tour quand une main se posa sur son épaule. " tu devrais arrêter de venir. " Un soupir lasse s'échappa de ses lèvres. " qu'est-ce que dirait ta soeur si elle te voyait ? " Ses yeux se froncèrent. Et la colère remonta à vive allure dans ses entrailles. Il n'y avait qu'un mot pour le mettre dans cet état. " va te faire foutre Carlos. " Parce que personne ne savait. Ni le pourquoi. Ni le comment. Il était tous des ignorants qui ne comprenait rien. Et sans autre forme, Cruz disparut. Il avait une poche de glace à mettre sur sa lèvre avant qu'elle n'enfle davantage.