...So before we go out, what's your address ?Trois août deux mille huit. Keegan passe avec un grognement un débardeur par-dessus le bermuda qu'il a porté toute la journée avant d'entrer rapidement dans la salle de bain adjacente à sa chambre. Il observe un instant son reflet dans le miroir et sourit comme un idiot quand il voit la barbe de deux jours qu'il se laisse pousser. Il s'en fiche, il est jeune, il a 16 ans, il est amoureux et il a toute la vie devant lui. Il se passe un dernier coup de déodorant avant de retourner dans sa chambre, de fourrer son porte-feuille et ses clés de motos dans sa poche et de sortir. Sa soeur, Sará, joue de la musique à fond sur sa china-hifi et Keegan soupire, agacé. Il n'en peut plus de sa pop à deux balles qu'elle se sent obligée de faire écouter à tout le monde. Pour le principe, il tambourine à sa porte avant de descendre deux par deux les marches de l'escalier en marbre. Malgré les pierres dont la villa est faite, la chaleur reste étouffante et pourtant, il a grandi en Californie. Depuis, il devrait être habitué. Son autre soeur, plutôt demi, est sortie elle aussi mais n'a pas voulu dire à Keegan où elle allait. Ca l'agace de voir Emilia s'éloignr lui pour un type qui ne la mérite certainement pas. Il oublie vite ses pensées alors qu'il sort de chez lui un rapide
"Je suis parti." Il ouvre le coffre de sa moto, vérifie bien que le casque de secours est à l'intérieur avant d'attacher le sien, d'enfoucher sa bécane et de s'éloigner du quartier riche et trivial qu'est The High Neptune. Claire et lui ne se retrouvent jamais sur les plages bondées des 09ers' land, ils préfèrent un endroit plus tranquille, au centre de la ville. Quand l'envie leur en prend, ils montent sur la moto de Keegan et conduisent où bon leur semble. Keegan est amoureux comme il ne l'a jamais été, ce premier émoi qu'il pense voir durer toute sa vie ; sans Claire, son existence n'a plus aucun sens. Quand il l'aperçoit enfin, après s'être garé, il sait déjà que quelque chose ne va pas. Elle est drapée dans le paréo qu'il lui a offert et il sent encore la claque que sa soeur lui a offert quand elle a l'a vu.
"C'est ta petite amie, pas un épouventail." Keegan se rappelle avoir acheté le paréo parce qu'il lui rappelait ses yeux mais Claire ne l'a jamais portée - juste acceptée avec le plus beau sourire et avouée qu'elle était amoureuse d'un idiot. Quand il arrive, il la serre aussitôt dans ses bras et il est surpris quand elle l'embrasse comme jamais elle ne l'a embrassé. Ce n'est pas un baiser d'adolescents épris, c'est dur et passioné, il y a beaucoup trop de dents mais Keegan répond avec autant d'égards, inquiet mais à la fois excité - ils pensent à leurs premières fois il y a quelques semaines et sent son bermuda devenir légèrement inconfortable. Quand elle s'écarte, il remarque ses yeux rouges.
"Hey ! Qu'est-ce qui va pas ?" Il passe ses doigts sur joue et elle sourit à peine.
"Les rumeurs sur mon père qui a fait banquerout... Je t'en ai parlé la semaine dernière." Keegan hoche la tête.
"C'est vrai... On repart en France dans deux jours." "Quoi mais pourquoi ?" "C'est Neptune Keegan, ici tu es riche ou tu es rien du tout. Mon père... Il ne veut pas supporter les rumeurs et l'humiliation. On rentre chz nous, pour se ressourcer." "Et t'es d'accord avec ça ?" Le regard dans les yeux de Claire le fait frissonner ; c'es le même qu'ont les filles superficielles de son lycée. Comme si la vie se comptait en chaussures Chanel et sac à main Vuitton. Ils passent les prochaines heures à se disputer, Keegan l'aime mais est fou de rage qu'elle se laisse faire. Elle part sans un dernier regard et il ne la revoit plus jamais. Quand il rentre chez lui, il est dégoûté par ce monde qu'il ne reconnait plus, où l'amour n'est rien face aux préoccupations matérialistes. Keegan veut hurler, tout casser mais il se contente de s'enfermer dans sa chambre.
Douze juillet deux mille onze. L'orage a éclaté plutôt dans la nuit et la pluie tombe à verse sur la route sinueuse qui ramène à Neptune. Keegan a un brouhaha constant dans la tête alors qu'il regarde, presque hypnotisé, l'eau tomber sur le pare-brise. Sará est au volant de la mercedes de leur père qu'elle a piqué sans permission pour les emmener à une soirée à plusieurs kilomètres de la ville. Keegan a supplié Emilia de les accompagner mais elle a refusé ; elle n'est pas une Sharks contrairement à eux. C'est Sará qui l'a initié au gang et qui lui a permis de rentrer. Keegan adore en faire partie ; leurs préoccupations sont loin de celles vénales de son père et sa belle-mère et s'il pouvait, il passerait sa journée sur ou sa sa bécane. A la soirée, ils ont bu et Keegan a avalé deux comprimés d'ectasy qui commencent doucement à s'évaporer. S'il ne pleuvait pas autant, l'aube se lèverait sur la Californie. Sará commence à enchainer les virages et Keegan fronce les sourcils. La voiture tangue dangereusement et même avec les phares allumés à pleine puissance, ils ne voient quasiment rien.
"Sará, ralentis." marmonne-t-il. Sa soeur tourne la tête vers lui et lui offre un sourire arrogant.
"Pourquoi ? T'as envie de gerber ? Je croyais que t'étais plus un bébé." Keegan la fusille du regard.
"Je suis sérieux Sará, on va trop vite. Y a une route qui débouche pas loin et t'es trop saoule pour conduire de toute façon." "Pas plus que toi." claque-t-elle agacée. Elle prend un virage serré et même malgré la pluie et l'alcool qui chauffe dans son sang, il peut entendre le pneus crisser.
"Sará !" crie-t-il. Elle quitte les yeux de la route une seconde avant de donner un coup de volant sec. Mais c'est trop tard, une voiture déboule sur leur droite et ils ne l'évitent que de justesse. Leur voiture tourne sur elle-même et Keegan panique, est-ce qu'il va mourir comme ça ? Puis tout est noir. Quand, il reprend connaissance, il est dans une salle d'examen. Il a une égratinure au front mais la plaie n'est pas assez profonde pour nécessiter des points de suture. Le médecin arrive avec un sourire rassurant et lui annonce qu'il n'a pas de commotion.
"Et ma soeur ? Et la voiture qui a déboulé ?" L'expression grave du médecin lui fait croire le pire. Les minutes qui suivent son flous et quand il sort de la salle, sa soeur et son père l'attendent. Sará a l'air dans les vapes mais elle n'a qu'un petit doigt de cassé, rien qui nécessite de rester à l'hôpital. Keegan s'attend à voir la police mais son père les entraîne dehors.
"Attends on part comme ça ? Et la police ?" "Je m'en suis occupé." "Tu... Tu les as payés c'est ça ? Putain papa, on a tué quelqu'un. On était saouls, on aurait jamais dû prendre la route. Une femme est morte à cause de nous !" "Keegan !" "Quoi ? Tu... tu te rends compte que c'est notre faute ? T'es la première à dire que tu détestes cette vie d'ariso et tu vas pas assumer tes responsabilités." Le visage fermé de sa soeur et celui agacé de son père lui font passer les mains dans ses cheveux.
"Je vous reconnais plus. Vous me dégoûtez. Surtout toi et ton argent papa. Félicitations, ta réputation est sauve, ton fils n'ira pas en prison." Il lâche ça avec tout le dédain du monde avant de partir sans un regard en arrière.
Onze mai deux mille quatorze. Le lit rebondit légèrement alors que quelqu'un se laisse tomber sur le matelas à côté de lui. Keegan grogne et enfouit sa tête sous son oreiller. Les volets sont ouverts - sans raison - tout comme la fenêtre - toujours sans raison - et il sait que ce n'est pas son coup d'un soir d'hier parce qu'il se rappelle parfaitement bien l'avoir entendue partie, il y a quelques heures.
"God, Emilia, dégage, ferme les volets aussi. Il est trop tôt." Il peut entendre sa soeur rire à côté de lui et il essaie de la frapper à l'aveugle sans réussir.
"Voyons voir, tu as fini de travailler à trois heures, tu t'es tapée la première idiote qui a écarté les jambes donc disons qu'à cinq heures au plus tard tu t'es endormi. Il est dix heures, ça fait cinq heures de sommeil. Tu peux tenir debout. Lève-toi espèce de paresseux." Cette fois c'est elle qui le tape et elle ne rate pas sa cible - n'essaie même pas d'y aller doucement - et Keegan grogne de nouveau. Qu'est-ce qui lui a pris d'emménager avec sa soeur ? Avec une fille qui se teint les cheveux en rose puis en bleu puis encore en rose tous les deux jours ? Keegan resserre le drap autour de sa taille alors que sa soeur tire dessus.
"Je te préviens, je suis à poil." marmonne-t-il, étouffé sous son oreiller.
"Déjà vu... S'il y a quelque chose à voir." Ca suffit pour que Keegan se redresse comme un ressort dans son lit et jette l'oreille sur sa soeur qui, prévoyante, est déjà debout à l'autre bout de la pièce.
"Pathétique." Keegan la fusille du regard avant de s'écrouler de nouveau.
"Rappelle-moi pourquoi je te supporte déjà ?" "Parce que je suis la soeur la plus géniale du monde. Que je me suis levée tôt pour aller t'acheter ton café préféré et des beignets. Tes préférés. A la confiture." Son estomac gargouille rien que d'y penser.
"J'ai aussi acheté des lys en passant." La voix de sa soeur est douce cette fois, presque hésitante. Keegan jette un coup d'oeil digital pour regarder la date avant de réaliser. Oh.
"La fête des mères." Emilia va s'asseoir sur le bord du lit et passe une main dans ses cheveux - il déteste ça en général sauf dans des moments comme ça.
"Je sais que tu voudrais fleurir sa tombe. Mais tu t'en serais rappelé ce soir et aurais frappé à la porte du fleuriste jusqu'à ce qu'il t'ouvre." Keegan sourit, touché par l'attention.
"Et ta mère ?" Emilia lui jette un drôle de regard.
"Tu sais que je lui parle plus." Vrai. Peu après l'accident de voiture, Keegan a quitté la ville familiale ; quand la mère d'Emilia a refusé qu'elle vive de sa musique, elle est venue le rejoindre. Quant à Sara, il lui a pardonné mais les choses restent tendues entre eux. Il sait qu'elle ne viendra pas fleurir avec lui la tombe de sa mère.
"Habille-toi, je t'attends dehors." "Merci Emi'." répond-il, la voix remplie d'adoration pour cette femme qui compte plus que tout. Emilia sourit largement.
"Fais-pas ton lourd, laisse tomber les larmes et ramasse ta virilité !" Quelle peste, pense-t-il en se levant.